Un grand merci à Fred Pellerin pour l’inspiration de cette merveilleuse chanson « Silence ».


Il y aurait tant à dire sur une vie humaine.
Étant enfant je regardais Papa travailler sur sa voiture et ce qu’il faisait avec ses outils me fascinait.
Il me serait difficile de parler de moi, de ce que j’ai appris, de ce que je sais faire sans parler de mon père, Vincent Beauchemin, qui m’a transmis ses connaissances avec patience et avec amour. Il ne le savait pas mais il avait le don de pédagogie, l’amour de partager ce qu’il avait appris. Il avait un bon sens de l’humour, savait rire de ses erreurs. Il travaillait lentement et prenait le soin de respecter les étapes qu’il me montrait une à une en m’expliquant les raisons de chacune d’entre elles. Si je ne comprenais pas il recommençait d’une autre façon, avec plus de paroles, plus de détails, toujours doucement sans s’impatienter. Il pouvait recommencer, toujours doucement et recommencer ses explications. Ce n’est pas que j’avais l’habitude de ne pas comprendre mais ça arrivait à l’occasion. Il m’a transmis cette façon de faire. Papa a été élevé sur la ferme familiale à La Présentation, près de St-Hyacinthe et il avait appris la débrouillardise. Son père Hormidas Beauchemin, avait dû lui enseigner beaucoup de choses mais il ne m’en a pas parlé. Je n’ai jamais connu mon grand-père Hormidas, décédé avant ma naissance, mais les oncles et tantes ont dit que c’était un homme extrêmement intègre et il recevait tous les  »quêteux » (mendiants) des alentours qui couchaient dans la cuisine près du poêle à bois. On a dit que c’était un homme au grand cœur.

Hormidas et Malvina seuls j

Mes deux grands-parents paternels que je n’ai pas eu la chance de connaître. Hormidas Beauchemin et Malvina Vìncent, nés tous les deux en 1885, se sont mariés en 1910.


Papa est venu travailler à Montréal dans le début des années 50 où il a conçu et élevé sa famille et y a aussi terminé sa vie, un jour où il est parti si vite, mort sur une piste de ski de fond. Papa ne nous a jamais dit qu’il nous aimait, mais il nous aimait profondément. La chanson de Fred Pellerin dit dans son refrain « y a plein d’affaires qu’on dira pas… Y’en a toujours… qu’on dit jamais… et qu’on dit jamais. »
Y’en a qu’on dit jamais à ceux qu’on aime… et un jour quand ils sont partis, il est trop tard, et on a beaucoup de regret et beaucoup de peine. Je n’ai jamais pu dire à mon père que je l’aimais, sinon m’a dit ma mère, quand j’étais un enfant en bas-âge, mais je ne m’en souviens pas. Je n’ai pas pu, je n’ai pas réussi, à cause de la gêne. Maintenant il est trop tard.

Papa vivait en paix et en harmonie avec ses voisins qui l’appréciaient. Il aimait les gens. Il n’était pas un homme prétentieux, mais un homme simple.
C’était un homme travailleur qui a bossé à 2 emplois pendant des années, un emploi de jour et un de soir. Tout ça pour élever et nourrir ses 6 enfants plus un autre qui n’était pas le sien (mon demi-frère aîné) mais qu’il a nourri, habillé et traité comme un fils.

Une grande partie de mes connaissance proviennent de papa. Je me souviens du jour où il m’a sorti sa toupie et m’a montré les choses incroyables qu’on pouvait faire avec cette machine. Je voulais couper et arrondir les rebords de 2 portes d’armoires de cuisine pour une dame agée que je fréquentais et que j’appelais affectueusement  »grand-mère » car mes deux grands-mères étaient décédées et je n’en avait plus. Le frigo n’entrait pas dans l’espace trop bas et il fallait remonter l’armoire. Nous avons coupé les 2 portes pour la  »grand-mère » et puis Pops (Papa) a choisi un fer à toupie, l’a installé et a ajusté sa toupie, en m’expliquant ce qu’il faisait, puis l’a démarré et a fait un rebord arrondi identique aux trois autres qui restaient. J’étais émerveillé de cette machine extraordinaire. Des années auparavant papa avait acheté une « track » (guide) de scie ronde de menuisier. C’est une barre en aluminium de deux sections d’un peu plus de 4 pieds et une autre petite barre en aluminium qui s’insère dans une glissière et permet de joindre les deux barres et faire une barre d’un plus de 8 pieds de longueur. Les glissières sous ce quide permettent d’y installer les deux poignées qui sont des serres en même temps. Elles viennent se fixer solidement aux deux extrémités de la planche à couper en ligne droite. En maintenant une pression de côté sur la scie ronde électrique, contre le guide et en poussant vers l’avant en même temps, on peut faire une coupe très rectiligne. C’est souvent mieux qu’un banc de scie, surtout les petits bancs de scie non professionnels. Papa m’avait fait découvrir cette petite merveille dont je me sers encore.


Il y avait déjà des années que mon père m’avait appris à me servir d’une scie ronde (j’avais 15 ans à cette époque, quand j’ai coupé des panneaux de bois et construit mes premières colonnes de son) et de plein d’outils et de machines. J’avais entre temps suivi des cours en mécanique automobile (puis j’en ai suivi d’autres), menuiserie, métal en feuille, électricité et dessin technique (construction de plans, architecture).


Papa était un homme très manuel, qui touchait à plein de choses. Il aimait le travail solide et bien fait.
Je ne dirais pas qu’il était très perfectionniste mais il faisait néanmoins du très bon travail.
Il travaillait le soir dans le garage d’un compagnie de déménagements (Roussille Transport).

Camion de Roussille-seul-jpeg

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Photo ci-haut, un camion de la défunte compagnie Roussille Transport qui était située au coin de la 8e Avenue et la rue DeVille, à Ville St-Michel, un cartier de Montréal.

Là-bas, avec les mécaniciens mon père a beaucoup appris sur la mécanique. Il n’a jamais été chercher sa carte de mécanicien mais il aurait sûrement pu en obtenir une et gravir les échelons.


Papa avait son automobile et s’étant acheté une vieille maison, il travaillait souvent les fins de semaines à la rénover. Il ne s’arrêtait que rarement pour se reposer, sinon pour aller voir des courses de Stock Cars et il y amenait sa petite famille. J’ai beaucoup travaillé sur la maison avec lui. Il avait aussi acheté une souffleuse à neige, un motoneige, puis une deuxième et nous étions souvent en train de réparer l’une ou l’autre de ces choses, et puis quand un appareil brisait, (frigo, cuisinière, aspirateur, outil électrique ou autre) nous les démontions, faisions des tests électriques ou autres pour trouver le problème. Si l’appareil n’était pas réparable, nous gardions certaines pièces qui pouvaient servir à en réparer d’autres. Au fil des années nous rénovions la vieille maison. Ça a été ma deuxième école étant adolescent et ensuite jeune adulte. Au fil des années nous avons fait tant de choses sur cette vieille maison qui avait été  »raboutée » avec des matériaux de fortune. À l’arrière, elle avait des briques de différentes grosseurs et couleurs, des solives de différentes dimensions dans l’entre-toit et entre le plancher du haut et le plafond du bas, Les murs et plafonds étaient en plâtre mal fait, surtout autour des portes. Ces vieilles portes étaient pleines de couches de peintures plus ou moins uniformes. Les moulures étaient abîmées, les planchers en dénivellation. C’était pas un château mais elle était confortable. Elle avait des vieilles fenêtres en aluminium. Des balcons et l’escalier arrière en bois qui pourrissait. Celui d’en avant était en métal et avec les années, était devenu rouillé et perforé, les soffites sous le balcon avant gondolées, des marches au sol en ciment à refaire, la plomberie en vieux tuyaux galvanisés à refaire, l’électricité à refaire également, l’ancien système de chauffage. Les portes et fenêtres. Les salles de bain (c’était un triplex), les armoires de cuisine, les tuiles de vinyle ou de céramique. Nous avons défait des murs et plafonds au complet. C’était le style d’anciens murs et plafonds en lattes de bois recouvert de crépis, puis de plâtre. Nous avons dû ajuster tous les murs et plafonds, les mettre au niveau et refaire en feuilles de gypse. Nous avons refait un mur du salon en bois embouveté (pin Princesse). Nous avons refait la dalle de ciment dans la cour arrière, travaillé sur la toiture, les gouttières et combien de choses je peux avoir oublié de mentionner. Toutes ces choses ont été les bases de mon côté manuel, à part ce que je bricolais moi-même. Bien sûr, tout ça a été réparti sur plusieurs années.. Il n’y avait pas que moi qui ai aidé papa, mes autres frères aussi, mais j’ai toujours été le plus manuel de tous.

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Vincent Beauchemin, mon père à l’âge de 16 ans devant la maison de la ferme familiale.

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Papa, à l’un de ses anniversaires. Il aimait les outils et les machines et nous avions l’habitude de lui en offrir en cadeau.

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Je pense que ce devait être en 1980. Papa prenant une petite bière, appuyé sur une de mes vieilles voitures (Impala SS 1964). L’autre à l’arrière plan était aussi à moi (Buick LeSabre 1962).

Étant jeune adulte je me passionnais à acheter et réparer des voitures anciennes. Papa venait souvent voir ce que j’étais en train de faire. Il venait jaser, me passer des outils, faire des blagues, me faire des suggestions. Souvent son idée m’inspirait et j’en avais une autre qui me venait à l’esprit à partir de la sienne et nous avions trouvé la façon de régler le problème. Tant de fois il est venu m’aider et travailler avec moi sur mes véhicules, juste pour être avec moi. Je n’avais même pas à lui demander, il venait de lui-même. Ensemble nous avons réparé, rénové, fabriqué tant de choses de toutes sortes. J’adore toujours les anciennes voitures mais je n’en ai plus, sinon beaucoup en modèles réduits. Quand un de ses enfant achetait une maison, papa était souvent là quand on rénovait quelque chose. Il était là pour les déménagements, pour aider.


Papa avait encore sa vieille souffleuse à neige, sa première achetée en 1971, déjà usagée à l’époque. Avec les années il l’avait tellement modifié de partout pour la réparer et elle fonctionnait toujours. Il y avait ajouté ceci et cela à différents endroits pour résoudre tel ou tel problème, avait modifié le système de vitesses. Elle était ressoudée à plusieurs endroits. Une année, quelqu’un avait jeté une brique dans la neige fraîchement tombée. Quand la brique est entrée dans la souffleuse elle a tout tordu la vrille, les palettes rotatives qui projettent la neige au loin et le moteur a étouffé sur le coup. Nous avons dû la démonter en pièces, redresser toutes les palettes à la masse, redresser les lames du rouleau avant, faire plusieurs soudures et la remonter. Dans les dernières années il en avait acheté une autre mais gardait celle-ci en remplacement quand la plus récente brisait. Cette vieille souffleuse Toro était une pièce de collection juste à regarder toutes les modifications-maison que papa lui avait apporté. Sa deuxième femme s’en est débarrassée après sa mort, elle ne m’en a pas parlé et je n’en suis pas content. Je considérais cette souffleuse comme un souvenir de valeur. À moi qui connais la mécanique, papa me montrait les pièces qu’il avait fabriquées sur sa souffleuse et m’expliquait les problèmes qu’elles réglaient. J’aimais les coches qu’il avait agrandies sur son panneau de vitesses pour qu’elles fonctionnent mieux et pour que le recul fonctionne mieux lui aussi. Il y avait ajouté des ressorts, des barres de métal boulonnées et autres pièces. Ça se voyait très bien que c’était du « home made ». Mon père était un « patenteux » comme on dit ici, et moi je suis une copie conforme de ce qu’il était, et même probablement encore plus que lui.


LES TUILES DE PLANCHER DE PAPA.

Je me souviens d’une année, ce devait être vers le début des années 80, Papa avait décidé de changer ses tuiles de plancher (tuiles de vinyle). Mon jeune frère Denis et moi l’aidions à les installer. Lorsque je suis arrivé dans un coin où il y avait un cadrage autour d’une porte, je me suis arrêté à penser. Je voulais découper ma tuile de vinyle et vraiment faire du beau travail autour de ce cadre de porte. À force de penser il m’est venu l’idée de prendre une feuille de papier, la placer dans le trou de la tuile (les autres autour étaient posées, donc ça formait un trou plus ou moins carré à cause du cadre de porte et le mur). J’ai donc installé ma feuille de papier dans le trou, coin à coin et avec un stylo j’ai commencé à suivre la courbe du cadre de porte, juste un peu jusqu’à ce que le papier commence à plier. J’ai enlevé le papier, découpé au ciseaux jusqu’où ma ligne s’arrêtait, j’ai remis le papier dans le trou, coin à coin encore et j’ai pu faire un autre bout de trait, puis découper aux ciseaux encore. J’ai répété le processus jusqu’à ce que j’ai fait tout le contour de la moulure de bois qui avait différentes épaisseurs et des formes et courbes. Une fois mon gabarit terminé je l’ai installé sur ma tuile, collé coin à coin au ruban gommé et j’ai tracé ma ligne de contour sur la tuile, puis je l’ai découpé. Quand je l’ai installée, le résultat était superbe. J’ai montré à Denis et Papa ma technique et Denis s’est empressé de faire comme moi. Par la suite, non pas sur cette maison, mais en développant des expériences et faisant de la tuile, du tapis mur à mur professionnellement, je me suis mis à couper un trait dans le bas des cadres de portes à la scie à araser, juste un poil au-dessus de l’épaisseur de la tuile (et je sais être très précis avec des épaisseurs de papiers et de cartons minces).
Au long des années je me souviens d’avoir suggéré de bonnes idées à Papa, comment réaliser un travail. Il prenait l’habitude de venir me parler de ce qu’il voulait faire. Il réalisait que son fils avait du talent et de bonnes idées mais au fond c’est lui qui m’avait inspiré à penser, à chercher des solutions, étant jeune, lorsque je le voyais s’arrêter, examiner les choses sous tous leurs angles, puis le voyant chercher dans ses matériaux ce qui pouvait solutionner le problème. Je me suis habitué à cette forme de gymnastique de l’esprit et je l’ai développé de plus en plus. J’avais la chance d’avoir un père qui était outillé, avait des machines, des matériaux, des brics-à-bracs, et une certaine passion de réaliser des choses. Je n’ai jamais vu aucun autre homme aussi travailleur que lui. Travailler à deux emplois pendant tant d’années (une quinzaine, de mémoire), faire de nombreuses heures à ces deux emplois et avoir encore la motivation de travailler. Mon père était un genre de héros méconnu et il me manque tellement.

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À SUIVRE …